Les heures joyeuses - 2 - En attendant goudou by Alexis Clairmont

Auteur:Alexis Clairmont [Clairmont, Alexis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Moeurs, Nouvelle, XXème siècle, .Lus
ISBN: 2845470037
Éditeur: H&O
Publié: 1999-01-01T23:00:00+00:00

* * *

Greg essayait en vain de repêcher un morceau de chips dans son whisky coca.

— J’veux dire, c’est dommage qu’il soit si désespérément con, dit-il en manquant à son tour de renverser son verre. Parce qu’il est plutôt mignon, Rodolphe.

Il aurait dû s’en douter : l’idiot du Paradis était ressorti avec un balai du petit débarras au bout du bar, juste à temps pour entendre la fin de sa phrase. Greg ne faisait même plus attention à ce genre de situations : elles jalonnaient ses journées d’aussi loin qu’il s’en souvienne. Bien entendu, l’aide-serveur arborait maintenant un sourire radieux.

— Remarque, quand je te regarde, je me dis que ce n’est qu’une étape transitoire, fit Virginie, pensive.

— Hein ? (Greg ne voyait pas le rapport.) De quoi tu parles ?

— D’être bi…

Elle avait décidément de la suite dans les idées !

— Tu l’étais, toi aussi, continua-t-elle. Quand on était ensemble, tu ne te serais pas défini comme hétéro.

— Vous avez été ensemble ? s’exclama Laurent.

Laissant le morceau de patate tournoyer triomphalement dans son verre, Greg se dit que les prochaines minutes promettaient d’être longues et se prit une bonne rasade.

— Pas longtemps, dit-il. Mais c’est un bon souvenir.

— Il en avait après mon frère, ajouta Virginie.

Elle ne pouvait pas s’empêcher d’interpréter leur liaison à travers la rencontre qu’elle avait occasionnée. Depuis le temps, il savait que ce n’était pas la peine d’essayer de la convaincre du contraire, mais elle avait tort.

— Vous vous êtes rencontrés comment ? demanda l’étudiant.

— À une manif contre le nucléaire, répondit Virginie. En fait, j’ai d’abord rencontré ses parents. Ils sont géniaux, tu peux pas savoir ! C’est le genre baba-cool attardés. Ils sont encore éleveurs de chèvres en Ardèche, c’est tout dire !

— Pour eux, le monde s’est arrêté en 1970, si tu veux, dit Greg. Ils sont jamais complètement revenus de Woodstock.

— Je t’assure, ils valent le déplacement. Bégonia, surtout.

— C’est ma mère, crut bon de préciser l’éducateur.

— J’adore ses omelettes aux champis. Et Country Joe, c’est un chic type, lui aussi.

— Country Joe Le Souëzec ? s’étonna Laurent.

— Pareil, ça vient de Woodstock. Pour mes vieux, c’est plus sacré que la Bible, tu vois ? En fait, son vrai nom, c’est Jean-Yves.

— C’est l’inventeur fou, reprit Virginie. Il te trouve de ces idées, parfois ! Comme son compte-minutes en forme de tour de Pise.

— Au lieu de sonner, il s’écroule.

— Il aurait pu faire fortune ! Mais non, il s’est contenté de construire le prototype.

— Il est contre l’argent.

— Je vois, fit Laurent qui se retenait visiblement de rire. Et c’est eux qui vous ont présentés ?

— Pendant la manif, ils n’ont pas arrêté de me parler de Greg. Je sais pas, ils devaient désespérer de le voir avec une fille…

— Quelque chose du genre.

— Alors, quand les flics ont commencé à disperser le cortège, on s’est tous retrouvés dans leur van, et Bégonia a sorti les pâtisseries.

— J’ai un trou à partir de ce moment-là, continua Greg. Quand je suis revenu à moi, j’étais… comment dire ?

— Il était en moi, finit Virginie en feignant l’embarras.

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